Sa trajectoire vers la vigne n’a pourtant pas été directe. Pour preuve cette année passée dans un bureau à compiler des chiffres chez Volkswagen France après des études de management. « Le travail de la vigne et du vin n’a pas été une envie immédiate, car j’ai vu mes parents vivre le métier de vigneron dans un stress quasi permanent » explique Alexandre Chartogne.
Une pression quotidienne liée à la reconstruction nécessaire du vignoble après les balafres béantes laissées par la seconde guerre mondiale en Champagne, et accentuée par des années 70 et 80 qui n’ont pas toujours été fastes. Un contexte qui a orienté le père d’Alexandre vers une viticulture plus automatisée, avec moins d’hommes, pour réduire les coûts et préserver l’équilibre financier de l’exploitation.
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Fuyez la vigne, elle vous rattrape au galop
Amateur de vin simplement à titre personnel, les racines familiales ne tardèrent pas à le rattraper et à l’arracher à son bureau. L’envie de produire son propre vin le titille, mais il souhaite apprendre auprès d’un autre que son père. « Dans la cave familiale il y avait des vins élaborés par Selosse, c’est comme ça que j’ai eu l’idée de contacter Anselme. J’y suis allé au culot et je l’ai appelé pour lui demander de faire un stage chez lui ».
Un stage à Avize, au sein de l’exploitation d’Anselme Selosse qui va totalement bouleverser sa vision du métier de vigneron. « J’ai vu que l’on pouvait travailler autrement, vivre son métier de vigneron sans cette tension permanente qu’il y avait à la maison, envisager la production de champagne sur un autre registre, et travailler la vigne d’une autre façon ».
Le retour du fils prodigue
De retour en 2006 sur le domaine Chartogne-Taillet, Alexandre se lance dans un travail d’appréhension et de découverte de son terroir, celui du village de Merfy, où il possède l’essentiel de ses vignes. Car si il a pu observer Anselme Selosse réaliser de superbes vins à partir du terroir d’Avize, l’un des plus fameux de Champagne, Alexandre se demande quel est le potentiel du terroir de Merfy, isolé à l’entrée de Reims.
Un travail exploratoire qui le mène jusqu’aux archives du domaine où plusieurs générations ont consigné le travail à la vigne année par année, et chaque vendange en détail depuis 1700.
Dans ce registre, il découvre que le raisin récolté sur le terroir de Merfy était parmi les plus chers de la région en 1780. A l’époque le village était reconnu comme un beau terroir pour élaborer du vin. Une reconnaissance qui s’était quelques peu évanouie au fil des siècles.
L’exploration du terroir ne s’arrête pas dans les livres, elle plonge sous terre lorsque qu’il fait réaliser une étude de la composition de ses parcelles à travers un carottage, une analyse de la vie biologique du ses sols et une observation des racines de ses vignes. « L’étude de la première parcelle m’a complétement effrayé. Les racines ne plongeaient pas dans le sol, mais évoluent horizontalement, à quelques dizaines de centimètre de profondeur, à cause du tassement du sol, du manque d’aération, et des herbicides qui tuent la vie microbienne ». En n’allant pas puiser dans les diverses couches du sol, la vigne se prive de nombreux éléments nutritionnels. En résulte un raisin pauvre, sans caractère. Fort heureusement, les autres vignes du domaine n’offraient pas le même profil et possédaient des racines plongeantes. La première vigne a elle été arrachée.
Comprendre et sublimer le terroir de Merfy
A Merfy, village un peu à l’écart du reste du vignoble champenois, les Chartogne travaillent 10 hectares sur les 45 qui encerclent le village, et possède des pieds de vigne sur 14 des 19 parcelles. « Si les anciens ont découpé le terroir en parcelles c’était tout sauf un hasard, ils suivaient, sans le savoir, la composition du sous-sol. Toutes ces parcelles sont autant de profils différents, mêlant craie, tuf, sable, argile… » explique Alexandre Chartogne. « J’ai arrêté les herbicides sur tout le domaine à partir de 2006/2007 et depuis les études de sols ont clairement montré une reprise dans la vie dans le sol et une forte augmentation de la présence de microorganismes » se réjouit Alexandre.
Dans les vignes désormais le cheval et sa charrue ont remplacé le tracteur sur la moitié des parcelles pour réduire le tassement des sols.
Très attaché à son terroir, Alexandre lui rend hommage à travers ses cuvées parcellaires, interprétation personnelle d’un vignoble qu’il considère comme un patrimoine universel. « Arrivera certainement un jour où le nom de Chartogne ne sera plus attachée à ce morceau de vignoble, tandis que les noms des parcelles resteront ». Les Alliées, Les Orizeaux, Les Barres, Heurtebise, ou Les Beaux-Sens peuplent ainsi la gamme Chartogne-Taillet, chapeautée avec bienveillance par la cuvée Sainte-Anne, hommage à la Sainte patronne de Merfy, et assemblage délicat de toutes les parcelles du domaine.
Accompagner sans déformer
« Je crois qu’il faut savoir se retirer pour laisser la vigne faire. D’ailleurs selon moi 95% de la qualité d’un vin se réalise à la vigne, ensuite on ne fait qu’accompagner, et préserver au maximum le goût pour ne pas le déformer. » Un philosophie qui ne l’empêche pas de varier les façons d’accompagner un vin et au détour d’une visite des chais, coincées entre une cuve inox et des fûts de chêne, on découvre deux amphores grecques. « J’ai voulu tester, mais cela ne semble pas très concluant pour le moment » glisse-t-il dans un sourire. Car Alexandre Chartogne refuse plus que tout de s’enfermer dans des certitudes et les écoles de pensées. Il pratique le bon sens, l’intuition et l’expérimentation pour suivre un seul objectif : le plaisir et le partage.
J’ai fondé Plus de Bulles en 2007 avec l’idée de montrer que derrière le mot champagne se cachaient une infinité de nuances et de styles. Depuis lors, je parcours la Champagne à la découverte de nouveaux talents et de précieuses pépites à partager.